Imagine
I
Un long morceau de terre semblait flotter dans les cieux immatériels, au-dessus de nuages à la blancheur éclatante. Une fine brume enveloppait cette île posée sur un océan d’atmosphère. En s’approchant, la brume se dissipait soudain pour laisser entrevoir les sommets enneigés de hautes montagnes se dresser vers cet astre de feu aveuglant qui répandait une brillante lueur, essayant de monter plus haut que son voisin, tel des géants élevant leurs crinières avec un orgueil digne d’un humain ; leurs pieds se jetaient dans le vide en de gigantesques falaises de craie blanche qui reflétaient les rayons du soleil, formant une couronne resplendissante encerclant la chevelure rocheuse d’une tête invisible. Un torrent bruyant et rapide jaillissait de la masse rocailleuse, résultante de la fonte des neiges éternelles des aiguillons sous la chaleur. L’eau glacée bondissait de roc en roc, continuait son chemin en grondant, puis se fracassait en des milliers de gouttes d’eau, tel les crêtes d’un animal marin qui se glissait sur le lit pierreux du flot tonitruant. Soudain, le sol s’ouvrait en un trou béant où l’eau s’engouffrait avec tout autant de vigueur qu’au reste du chemin, formant ainsi une cascade magnifique qui venait s’écraser après une chute vertigineuse en contrebas de ce mur de granit. Le torrent si impétueux se transformait en une large rivière calme, douce, paisible. L’eau chantait une de ces douces mélodies dont la Nature radieuse a seul le secret, son doux chant se mêlant avec la vibrante mélopée d’oiseaux aux couleurs vives et colorées, les pourpres et les bleus se mêlant avec l’eau claire turquoise et le vert du feuillage touffu des arbres qui longeaient le cours de la rivière, formant une haie d’honneur pour ce long et lent défilé d’eau. Après un très long parcours, celui-ci se jetait dans un immense lac qui ne semblait jamais déborder.
Le lac, cette incommensurable étendue d’eau douce et pure, avait l’air d’un gigantesque plateau d’argent sous l’éclat fabuleux de la lumière solaire. Par endroits, sur l’onde calme et tranquille, des étendues de nénuphars formaient de petites éclaboussures vertes qui ternissaient quelque peu l’éclat majestueux que le lac réfléchissait. Sur ses rives bleus-turquoises, un sable fin et doux au toucher formait une auréole beige tout autour de lui. En s’éloignant, le sable était remplacé peu à peu par une herbe d’un vert foncé qui jetait un violent contraste avec la douceur et la clarté de l’eau ; elle semblait bien abreuvée, ses racines étaient solidement accrochées au sol, et l’on devait si prendre à plusieurs pour en arracher ne fusse qu’un plan. Son enveloppe externe était rêche et ses bords coupants lacéraient les pieds trop aventureux. Cette plante sauvage se coupait du reste de la flore par son extrême hostilité, en se rapprochant, on pouvait croire que le vent entre ses feuilles faisait comme un long mugissement empli de haine. Dame Nature en avait sûrement fait là le gardien du si beau lac.
En continuant à s’éloigner de ce dernier, l’herbe mauvaise était remplacée petit à petit par un sublime et merveilleux gazon vert, tendre et légèrement humide sous la main. Il s’étendait à perte de vue, recouvrant le reste de l’île d’un manteau de fourrure verdâtre.
Cette île majestueuse avait donc tout l’air d’un paradis humain, presque volontairement façonnée à son image. Mais elle de paradis que le nom, car la plus horrible des inventions de l’homme, et pourtant une des premières, ravageait cette terre des dieux : la guerre.